L’origine du kebab : turc ou grec ?

L’origine du kebab : turc ou grec ?

Le kebab est aujourd’hui un plat emblématique de la street food dans le monde entier. Particulièrement populaire en Europe, il est souvent associé à la Turquie, mais certaines sources évoquent aussi une origine grecque. Ce sandwich garni de viande grillée, de crudités et de sauces soulève encore de nombreuses questions : d’où vient réellement le kebab ? Est-il turc ou grec ? Et comment cette spécialité est-elle devenue l’un des plats les plus consommés sur le continent européen ? Pour comprendre cette histoire complexe, il faut remonter plusieurs siècles en arrière et explorer les traditions culinaires des deux pays.

Le mot « kebab » et ses premières apparitions

Une étymologie d’origine arabe et perse

Le mot kebab vient de l’arabe « kabāb », qui signifie « viande grillée ». On le retrouve aussi en persan sous la forme « kabāb » avec la même signification. À l’origine, ce terme ne désigne pas un plat spécifique, mais une manière de cuire la viande, généralement sur des braises ou des brochettes.

Ce mode de cuisson est pratiqué depuis l’Antiquité dans de nombreuses régions du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Des textes anciens, comme ceux du Xe siècle en Perse, mentionnent déjà des formes de viande rôtie appelées kebab. On est donc loin du sandwich moderne, mais on retrouve les fondements d’une tradition culinaire très ancienne, centrée sur la cuisson directe de la viande.

L’évolution du kebab en Anatolie

C’est en Anatolie, l’actuelle Turquie, que le kebab commence à prendre la forme que nous lui connaissons aujourd’hui. Dès l’époque de l’Empire ottoman (XVe – XIXe siècle), les cuisiniers des palais impériaux perfectionnent l’art de la cuisson de la viande. Différentes variantes apparaissent : le shish kebab (brochette), le testi kebab (cuit en pot en terre), ou encore le kuzu tandır (agneau rôti).

Mais c’est surtout à la fin du XIXe siècle que le fameux döner kebab, littéralement « kebab tournant », fait son apparition à Bursa, en Turquie. C’est ici que la viande est pour la première fois cuite à la verticale, empilée en fines tranches sur une broche et grillée lentement.

La naissance du döner kebab en Turquie

Iskender Efendi et l’invention du kebab vertical

Selon de nombreuses sources turques, l’inventeur du döner kebab serait Iskender Efendi, un cuisinier originaire de la ville de Bursa, dans le nord-ouest de la Turquie. Dans les années 1860, il aurait eu l’idée de faire cuire la viande à la verticale plutôt qu’à l’horizontale, comme on le faisait traditionnellement. Cette innovation technique permet une cuisson plus homogène, tout en facilitant la découpe de fines tranches de viande grillée.

Ce nouveau style de kebab connaît un succès rapide, d’abord à Bursa, puis dans tout l’Empire ottoman. Le « İskender kebabı », du nom de son créateur, devient une spécialité régionale, souvent servi dans l’assiette avec du pain, du yaourt, de la sauce tomate et du beurre fondu.

Du döner à l’international : l’Allemagne, puis l’Europe

C’est au XXe siècle que le döner kebab va connaître une expansion mondiale. Dans les années 1960-70, de nombreux travailleurs turcs immigrent en Allemagne. Parmi eux, Kadir Nurman, souvent cité comme l’homme ayant popularisé le döner à Berlin dans les années 1970. Il aurait eu l’idée de vendre la viande de döner dans du pain pita, avec des crudités et des sauces, pour répondre aux besoins des travailleurs pressés. Le succès est immédiat.

Ce modèle est ensuite repris et adapté dans toute l’Europe, notamment en France, en Belgique, en Suisse et au Royaume-Uni. Le döner kebab devient l’un des piliers de la street food européenne, souvent consommé la nuit, en sortie de soirée, ou comme repas sur le pouce.

Et la Grèce dans tout ça ? Le gyros, cousin méditerranéen

Le gyros : une recette similaire mais distincte

En Grèce, on trouve un plat très proche du döner kebab : le gyros. Lui aussi se compose de viande grillée à la broche, servie dans du pain pita avec des crudités, de la sauce tzatziki et parfois des frites. Le mot « gyros » signifie littéralement « rotation » en grec, en référence à la broche tournante.

La grande différence réside souvent dans les types de viande utilisés : le gyros est fréquemment préparé avec du porc, ce qui le distingue du döner turc, traditionnellement à base de veau, d’agneau ou de poulet pour des raisons religieuses. Le goût, les marinades et les garnitures varient également selon les traditions grecques.

Une origine commune sous influence ottomane

Le gyros et le döner kebab ont donc des points communs évidents : la cuisson verticale, le service dans du pain, les ingrédients frais. Cette ressemblance s’explique par l’histoire partagée des deux pays. La Grèce a fait partie de l’Empire ottoman pendant plusieurs siècles, jusqu’au XIXe siècle. Durant cette période, de nombreux éléments culturels, y compris culinaires, ont circulé entre les deux peuples.

Ainsi, il est très probable que le gyros soit une adaptation grecque du döner ottoman, retravaillée avec les produits locaux et les préférences gustatives grecques. C’est un exemple parfait de cuisine méditerranéenne métissée, où les frontières entre les influences turques, grecques, arabes ou balkaniques sont parfois floues.

La rivalité culturelle autour du kebab

Un sujet de fierté nationale

L’origine du kebab est aujourd’hui un sujet sensible, tant en Turquie qu’en Grèce. Chacun revendique sa propre version comme la plus authentique. En Turquie, le döner est considéré comme une fierté nationale, avec des recettes transmises de génération en génération. En Grèce, le gyros est également un plat emblématique, souvent servi dans les tavernes ou sur le pouce.

Cette rivalité culinaire dépasse parfois la cuisine pour toucher à des questions identitaires et historiques. Chaque pays souhaite affirmer la primauté culturelle de sa gastronomie, et le kebab en est devenu un symbole.

Une reconnaissance internationale encore floue

À ce jour, il n’existe pas de label officiel international tranchant sur l’origine exacte du döner kebab ou du gyros. L’UNESCO a inscrit certains types de kebabs (comme le Cağ Kebabı turc) au patrimoine culturel immatériel, mais pas le döner kebab en tant que tel.

Dans la pratique, les deux plats coexistent, chacun avec ses variantes et ses partisans. Ils sont le reflet de cuisines populaires et vivantes, adaptées au quotidien, aux migrations et à la mondialisation. La question de l’origine est donc moins une affaire de possession qu’un témoignage de l’histoire riche et entremêlée des peuples de Méditerranée.

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